✄ Protéines de poulet, tiny houses, The Souvenir, aux enfants tombés pour la science, et un raton-laveur ✄
COUPÉ AU MONTAGE #17
Bonsoir tout le monde.
Ce soir c’est la dernière newsletter de l’année, alors je vous ai mis tous les trucs qui trainaient au fond du frigo, pour éviter qu’ils ne dépassent leur date limite de fraîcheur. J’espère que ça vous fera de quoi tenir jusqu’au grand retour d’ABSOLUMENT TOUT en 2022, pile à temps pour le rererereconfinement.
✄✄✄
À propos de Bill Waterson, l’auteur de Calvin & Hobbes : j’ai découvert qu’il avait sacrifié au genre très codifié du discours aux étudiants de son ancienne université, à l’époque où le strip était en cours de publication et qu’il était toujours en conflit avec son éditeur/diffuseur (j’ai pas de meilleur mot pour “syndicate”). Comme d’habitude c’est rudement bien écrit, avec une simplicité et une économie de moyens qu’on n’attendrait pas forcément d’un étudiant en sciences politiques :
Dans une culture qui clame inlassablement que la cupidité et l’excès sont la belle vie, une personne heureuse de faire ce qu’elle veut est généralement vue comme excentrique, sinon subversive. L’ambition n’est envisagée que comme la soif de grimper en haut d’une échelle imaginaire de la réussite. Quelqu’un qui choisit un travail peu exigeant pour avoir le temps de se consacrer à d’autres activités et aspirations est vu comme dilettante. On considère qu’une personne qui abandonne sa carrière pour élever ses enfants gâche son potentiel, comme si un titre et un salaire étaient les seules mesures de la valeur humaine. On vous dira de cent façons, parfois subtilement et parfois non, de continuer de courir, de n’être jamais satisfait de votre position, de qui vous êtes, ni de ce que vous faites. Il y a des millions de manières d’être un vendu, et je vous garantis que vous les entendrez toutes.
[Some thoughts on the real world by one who glimpsed it and fled]
Le passage ci-dessus a été illustré par un admirateur dans le style de Watterson.
✄✄✄
À propos de héros couverts de muscles : un peu las de Maigret et de Conan le Barbare, j’en suis revenu à lire les aventures de Jack Reacher pour m’endormir. À cette occasion j’ai découvert la section de reddit consacrée aux aventures de l’homme aux poings gros comme des poulets fermiers : les discussions tournent surtout autour du fait que les romans sont mal écrits, répétitifs et pas crédibles une seconde — ce qui, en plus d’être assez vrai, est extrêmement reposant dans un monde de fans obsessionnels et décidés à ce que leur œuvre favorite soit reconnue comme une contribution majeure à l’histoire des arts, et de l’humanité en général.
En ce moment la grande question c’est de savoir si la série Amazon, qui doit arriver en février, sera moins pourrie que les deux films avec Tom Cruise :
Cette fois, pas de doute, l’acteur choisi pour jouer Reacher est suffisamment grand et costaud, mais il est un peu trop jeune et beau. On verra bien.
✄✄✄
En parlant de l’almasty (le yéti du Caucase, là), j’ai omis de vous citer ce passage délicieux de la page Wikipédia :
Des analyses de l'ADN de poils attribués à l'almasty, ramenés par Heuvelmans, se sont avérés provenir de divers animaux communs (deux ours bruns, un ours noir, une vache, trois chevaux et un raton laveur)
[Almasty]
Ca n’empêche pas les cryptozoologues de s’accrocher à l’idée qu’un jour, un jour, on trouvera des poils d’almasty, ni les joyeux drilles du “Centre d'Etude et de Recherche sur la Bipédie Initiale” d’expliquer que c’est bien la preuve, en creux, que l’almasty est donc un homme de Néandertal ayant survécu jusqu’à nos jours.
✄✄✄
Je suis tout à fait fasciné par les ponts créés dans le nord de l’Inde avec les racines de figuiers à caoutchouc — même si j’ai quelques doutes sur le fait que la technique pourrait être utilisée dans les métropoles européennes, comme le suggère cet article.
(Je suis tellement à la ramasse que je ne sais plus qui m’a gentiment envoyé ce lien, toutes mes excuses)
✄✄✄
Je crois que je l’ai déjà dit ici mais vraiment : Tom Breihan m’a guéri de l’envie d’écrire sur les films d’action et les blockbusters. Il dit tout ce que je voudrais dire, mais en mieux.
✄✄✄
Une histoire qui ferait un excellent film d’action : la fois où Jimmy Carter est descendu dans un réacteur nucléaire en fusion pour sauver Ottawa.
✄✄✄
La semaine dernière, j’ai eu la chance de voir The Souvenir Part II. La première partie avait été un de mes films favoris de 2020, et la suite était sublime — le second film relit et étend l’histoire du premier, avec des couches et de couches de récit et de métatexte empilées, sans jamais perdre en fluidité ou sombrer dans l’exercice de style.
Les films basés sur des outils métatextuels tendent soit à souligner cyniquement les insuffisances du medium, soit à s’intéresser purement à l’esthétique, en cherchant le sens dans l’exercice de style. Mais entre les mains de Joanna Hogg, les méta-outils eux-mêmes sont la signification : la boucle de rétroaction est la seule manière de raconter l’histoire. Si The Souvenir a une résonance émotionnelle exceptionnelle, c’est parce qu’il est délibérément conçu pour faire place à ce type de vérité émotionnelle : le nœud dans la gorge se défait, au bout d’une centaine de minutes à travailler à se démêler. (...) La cinéaste, le personnage et le public poussent ensemble un soupir. Si l’art peut rendre libre, c’est par la catharsis de l’expression que la liberté tend sa main. Dans le dernier plan, la barrière entre fiction et non-ficton est rompue, et j’ai failli verser une larme, le nœud enfin dénoué.
Les choses qui m’ont le plus marqué : ce tout dernier plan, donc ; la performance de Richard Ayoade ; et les costumes portés par l’héroïne — à ce propos, cette interview de la costumière du film m’a permis de mieux comprendre ce qui n’avait fait que m’éblouir, sur le moment.
Voyez-les deux films, si vous avez l’occasion.
✄✄✄
La veille, dans la salle d’à côté, j’avais vu The Pool, un film thaïlandais sur un couple qui se retrouve enfermé au fond d’une piscine vide avec un crocodile. Le Méliès c’est vraiment le meilleur cinéma.
✄✄✄
Je suis tombé sur cet article de Jean-Laurent Cassely dans Slate, à propos des Parisiens qui envahissent nos belles campagnes. Ca m’a un peu aidé à comprendre la persistence de la hype sur les tiny houses, qui jusque là me laissait perplexe : le soufflé est retombé depuis au moins cinq ans aux États-Unis, et je ne comprenais pas pourquoi ça continuait de marcher ici.
Or en France, clairement, la tiny house paraît remplir un créneau différent : ce ne sont pas les riches qui découvrent les vertus de l’ascèse ; il s’agit plutôt de donner des résidences secondaires à une génération de petits bourgeois qui réalise graduellement que malgré ses deux salaires, elle ne pourra jamais se payer une maison sur la côte en plus des loyers délirants des métropoles.
C’est un peu comme l’arrivée providentielle de Mari Kondo pour expliquer aux gens que c’était leur faute s’ils n’avaient pas de place chez eux, après 20 ans de hausse ininterrompue des prix de l’immobilier et de baisse de la surface des appartements — il s’agit toujours de déguiser un choix économiquement contraint en proposition d’ordre éthique, librement acceptée. C’est pas du déclassement, c’est du minimalisme, je te dis.
Pour autant, ça me paraît un peu fou qu’on en vienne à gentrifier le bidonville. J’imagine que bientôt on virera les malheureux qui campent au bois de Vincennes pour vendre leur spot à des gens qui y poseront des cabanes d’architecte.
✄✄✄
Tiens d’ailleurs, à Vincennes :
✄✄✄
Je me suis remis à l'écriture de mon roman, j’avance bien mais c'est hyper dur d’être sarcastique dans un monde où on peut publier des phrases comme “L’enseigne spécialisée dans les grillades de viande s’apprête à déployer en France la chaîne de fast-food, deuxième acteur mondial de la protéine de poulet.”
✄✄✄
Et pour finir, un article sur ce que c’est de vivre dans une résidence étudiante dépourvue de fenêtres, comme celle dont je vous parlais il y a quelques temps :
La directrice adjointe des initiatives étudiantes, Lindsay Stefanski, a affirmé que de nombreux évènements de renforcement de la communauté étaient organisés, notamment du yoga sur le toit, pour favoriser le bien-être. Les étudiants ont accès 24h sur 24 à des ressources psychologiques, et la résidence a établi un partenariat avec les services d’accompagnement et de psychologie de l’université pour fournir des lampes SAD, qui simulent la lumière du jour.
[Here's what it's like to live in one of Charlie Munger's windowless dorms]
Ça aussi c’est chaud à caricaturer.
✄✄✄
Et ce sera tout pour cette année.
J’espère que vous avez un peu de vacances et que vous pouvez voir les gens qui comptent pour vous. Mettez vos masques, faites-vous vacciner, soyez prudents, tout ça, je pense que vous connaissez la chanson depuis le temps. Je sais pas si les mauvais jours finiront, mais je reste fidèle à l’idée que même la situation la plus calamiteuse recèle la possibilité de faire au mieux.
Portez-vous bien.
M.