Bonsoir tout le monde.
Cette semaine, en l’honneur d’une météo changeante et chaotique, je vous propose trois petites histoires de nuages.
1. Undulatus Asperatus
En 2004, lors d’un festival littéraire en Cornouailles, l’auteur britannique Gavin Pretor-Pinney a donné une conférence sobrement intitulée “Leçon inaugurale de la Société d’appréciation des nuages”. C’était une boutade, mais l’enthousiasme inattendu du public a convaincu Pretor-Pinney de créer effectivement la Cloud Appreciation Society, qu’il a dotée d’un manifeste tout à fait charmant :
Nous pensons que les nuages sont injustement dénigrés, et que la vie serait infiniment moins belle sans eux
[Cloud Appreciation Society Manifesto]
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Bientôt forte de dizaines de milliers de membres, la Société d’appréciation de nuages commence à recueillir les photos de nuages caractéristiques, spectaculaires ou rares dans la galerie de son site web.
Parmi elles, le site reçoit bientôt des photos de formations nuageuses ondulantes et vaguement inquiétantes, qui ne paraissent correspondre vraiment à aucune des définitions de l’Atlas international des nuages :
Convaincu qu’il s’agit d’un nouveau type de nuage, Gavin Pretor-Pinney entreprend donc de le faire ajouter à l’Atlas, qui n’avait pas été mis à jour depuis 1975. Il choisit le nom “undulatus asperatus”, puis part en quête de légitimité scientifique, trouvant notamment un étudiant de l’université de Reading qui décide de consacrer sa thèse à l’undulatus asperatus.
[Pocahontas (Missouri) — photo par Agathman]
En 2013, une nouvelle édition de l’Atlas des nuages est en préparation, et l’équipe de l’Organisation météorologique internationale chargée d’évaluer la validité scientifique des nouveaux nuages proposés recommande d’y inclure l’undulatus asperatus. Ce sera chose faite en 2017, sous le nom d‘“asperitas”, qui est considéré comme “particularité supplémentaire” de plusieurs types de nuages.
La définition officielle est la suivante :
Structures ondulées bien délimitées situées sur la face inférieure du nuage, disposées de façon plus chaotique et moins horizontale que la variété undulatus. L’asperitas se caractérise par des ondulations localisées à sa base, soit lisses, soit pommelées, descendant parfois en pointes acérées, ce qui donne l’impression d’observer une mer agitée par en dessous. La diversité des éclairages et des épaisseurs de nuages peut produire des effets visuels spectaculaires.
C’est le moins que l’on puisse dire
2. Les vertus de la persévérance
À la fin du XVIIIe siècle, l’astronome français Guillaume Le Gentil se met en tête d’observer le transit de Vénus (c’est-à-dire son passage entre la Terre et le Soleil), un phénomène dont la périodicité est assez particulière : deux passages séparés de huit années, puis les deux suivants plus d’un siècle plus tard.
En 1760, Le Gentil part pour le comptoir français de Pondichéry, en Inde, afin d’y observer le transit de Vénus prévu pour l’année suivante.
À son arrivée, après de longs mois en mer, il trouve le port aux mains des Anglais (la guerre de Sept ans a éclaté) et doit chercher une autre destination. Dans la confusion qui s’ensuit, il se trouve en mer le jour du transit et, balloté par la houle, ne parvient pas à faire d’observations utiles.
Mais notre héros n’était pas du genre pusillanime. Il décida que puisqu’il s’agissait seulement du premier transit de la paire, il allait rester pour attendre le second, qui aurait seulement lieu dans huit ans. Pas la peine de rentrer chez lui, le temps d’arriver il serait déjà presque temps de repartir.
Huit ans plus tard, alors que la date du second transit approchait, Le Gentil décida de faire route sur Manille, aux Philippines, car cela constituerait un excellent point d’observation et qu’on devrait pouvoir y accoster sans risque. Malheureusement, à son arrivée, les autorités espagnoles ne se montrèrent guère accueillantes, et il dut repartir en hâte pour l’Inde.
De retour en Inde, sa chance semblait avoir enfin tournée. Les Français avaient chassé les Anglais de Pondichéry, et il avait amplement le temps d’établir un observatoire, ce qu’il fit.
Pendant tout le mois précédent le transit, le soleil se leva chaque matin sur un grand ciel bleu. Et quand il s’assit enfin à son télescope le matin du transit, les nuages arrivèrent, et il ne vit absolument rien.
Après une période d’abattement et de maladie, Le Gentil entreprend de rentrer en France. Il prend la mer en 1769, mais son bateau doit rebrousser chemin face à une tempête au cap de Bonne-Espérance, et le dépose sur l’île Bourbon. Un navire espagnol finit par le ramener en France en 1771, plus de 11 ans après son départ.
À son arrivée, Le Gentil découvre qu’il a été déclaré mort, que ses biens ont été répartis entre ses héritiers, que sa femme s’est remariée, et que son siège à l’Académie royale des sciences a été déclaré vacant et attribué à quelqu’un d’autre.
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Il y a deux morales possibles à cette histoire.
La première, c’est que l’opiniâtreté n’est pas toujours récompensée, et qu’il vaudrait mieux, parfois, savoir quand baisser les bras.
La seconde est plus optimiste. Pendant ses huit années d’attente dans l’océan Indien, Le Gentil s’est fait zoologue et botaniste, il a appris la langue des Indiens et leur astronomie, il a cartographié les côtes de Madagascar.
Après son retour à Paris, il retrouva finalement son siège à l’Académie, se remaria, et vécut les 20 dernières années de sa vie logé à l’Observatoire, où il put rédiger le récit de son voyage.
Alors au fond, peut-être n’a-t-il pas été si malchanceux que ça.
3. Nuages de salon
Pour finir, je voulais vous montrer le travail de l’artiste néerlandais Berndnaut Smilde, qui crée des nuages en intérieur.
Dans la série « Nimbus » en constante expansion, Smilde photographie ces apparitions nuageuses dans des endroits divers à travers le monde – des mines de charbon aux espaces de co-working et aux cathédrales. Pour réaliser ses nuages, l’espace doit être froid, un peu humide et sans courant d’air. Tout d’abord, de l’eau est vaporisée dans l’air et ensuite de la fumée sort d’une machine, lors de leur rencontre, ces deux éléments se combinent et forment les œuvres de Smilde.
[Nouvelles oeuvres de Berndnaut Smilde, l’homme qui crée des nuages]
À l’instant où le nuage se forme, l’artiste doit courir autour pour le modeler, puis courir à nouveau pour sortir du cadre afin que le nuage puisse être photographié avant de disparaître (les clichés sont ensuite retouchés pour en retirer le matériel de l’artiste).
L’artiste reçoit régulièrement des demandes de gens qui voudraient lui commander des nuages, pour divertir leurs invités. Il refuse souvent. Il dit qu’il n’essaie de créer de nouvelles images que quand l’environnement lui apporte quelque chose de neuf en tant qu’artiste. Pour lui, l’essentiel n’est pas l’artificialité du nuage, mais sa fugacité : il existe un instant, puis disparaît à jamais.
[This artist makes clouds appear in unexpected places]
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Et ce sera tout pour cette semaine. On se retrouve dans deux semaines pour le programme d’été, et dès la semaine prochaine pour les abonnés Patreon.
D’ici là portez-vous bien, et n’oubliez pas de regarder le ciel !
M.