Bonsoir tout le monde.
Cette semaine, je ne sais pas si c’est la pluie, le coronavirus, le changement climatique, le fascisme en marche, la fermeture des bars ou les manettes de la Switch qui déconnent encore, mais j’ai le sentiment que la fatigue et l’hébétude nous gagnent un peu tous.
Peu importe. Rien ne m’empêchera de vous raconter trois choses intéressantes.
1. Venir au cinéma
En 2015, une note de blog de Matt Zoller Seitz avait défrayé la chronique : son fils de onze ans avait invité des amis à dormir et lui avait demandé de leur choisir un film cool à regarder. Matt Zoller Seitz a choisi Aliens, et le débat s’est immédiatement cristallisé sur la question de l’opportunité ou non de montrer un film qui fait si peur à des enfants si jeunes.
Personnellement ça me paraît un peu tôt, mais ce qui compte vraiment dans cette histoire, ce n’est pas de savoir s’il est opportun ou non de montrer Aliens à des gamins, c’est la description du rapport qui se tisse quand on montre un film à quelqu’un :
Et pendant que nous regardions, j’ai réalisé à nouveau que même si on ne peut malheureusement pas revoir un grand film pour la première fois, c’est presque aussi bien de le montrer à des gens qui ne l’ont jamais vu.
[Notes on watching "Aliens" for the first time again, with a bunch of kids]
Du temps où la paternité n’était encore qu’un lointain mirage, un cher ami et moi discutions parfois des stratagèmes que nous déploierions, le jour où nous aurions des enfants, afin de leur montrer les films que nous aimions sans qu’ils puissent se douter qu’il s’agissait de nos films préférés. Nous imaginions mettre une étagère avec les DVD de Die Hard, Demolition Man et Predator juste hors de leur portée, sans jamais en parler, et simplement leur dire qu’ils étaient encore un peu petits pour voir ça, en cas de question. L’enjeu était d’éviter à tout prix qu’ils ne les considèrent comme des films de vieux, nécessairement barbants ou, au mieux, désuets.
Aujourd’hui, je suis père et mes ambitions sont un peu différentes : je me demande surtout comment choisir les films que je montre à mes enfants — non seulement pour m’offrir 90 minutes de répit, mais aussi pour leur donner l’amour du cinéma.
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Mes enfants ont respectivement 7 et 8 ans et demi, et je pense qu’ils regardent des dessins animés depuis qu’ils ont trois ans. Au début je leur ai téléchargé de la vieille animation tchèque et polonaise, des Aardman et des Magic Light, et je me suis aussi beaucoup reposé sur le remarquable travail des Films du Préau pour leur faire voir des courts et moyens-métrages qui me séduisaient. Ça faisait une moyenne avec Peppa Pig.
Le premier long-métrage de mes enfants a sans doute été Mon Voisin Totoro, ou peut-être un Pixar. Je ne sais plus bien. En tout cas j’ai attendu longtemps avant de leur montrer des films en prise de vue réelle. J’étais réticent. Il fallait jongler avec beaucoup de paramètres : ce qui risquait leur faire peur, ce qui pouvait les intéresser, ce que je trouvais trop consternant pour être montré. Incapable de trancher, je leur ai mis le premier Star Wars, et c’est longtemps resté le seul film qu’ils avaient vu.
Pendant le confinement, il a bien fallu s’occuper, donc nous avons regardé ensemble quantité de films pour enfants des années 80 et 90 (E.T., Le vol du navigateur, D.A.R.Y.L., Le dernier Starfighter, The Sandlot, Chérie, j’ai rétréci les gosses, Maman j’ai raté l’avion, etc.), auxquels je ne suis pas très attaché parce que pour la plupart je les ai vus une fois adulte, et des trucs européens récents que je ne connaissais pas, sélectionnés un peu au hasard. N’importe quoi tant qu’on échappait aux comédies françaises à cancres.
Je sais que chez des amis, mes enfants ont vu les Harry Potter ou des Pirates des Caraïbes, certainement aussi des Marvel. Je n’ai pas d’opposition formelle, mais ça m’a surpris de constater que les gens trouvaient ces films anodins, alors que je me mets la rate au court-bouillon à l’idée de montrer Ghostbusters à mes gamins. Surtout, ça m’a forcé à réaliser que mon premier critère, c’est de ne pas leur passer des merdes.
Je constate en tout cas que les enfants qui ont vu beaucoup de films savent ce qu’ils aiment. Ils savent vite reconnaître une daube, et on ne peut donc pas les coller devant n’importe quoi, parce qu’ils s’ennuient. Mais leur goût n’est pas le nôtre. Je suis souvent surpris par ce qui leur plaît (ma fille adore Spy Kids, qui m’avait paru hideux à sa sortie) ou les émeut (la scène d’ouverture, muette, du Tarzan de Disney les a fascinés), et les longs-métrages d’animation chics et trop beaux que je leur dégotte ne sont pas nécessairement à leur goût — un peu comme on s’obstine à leur acheter des jouets en bois alors qu’ils aiment surtout les Transformers et les toupies Beyblade.
Depuis plusieurs mois, il s’avère c’est surtout ma fille qui aime les films, et elle qui a les goûts les plus aventureux. Mais elle n’a que sept ans, et je n’ai pas envie de lui infliger des images traumatisantes (Belloq qui fond à la fin de l’Arche perdue, la scène d’ouverture du Secret de la Pyramide qui m’avait donné des cauchemars à son âge, l’étrangeté un peu inquiétante du Baron de Münchhausen ou de L’Histoire sans fin), alors j’attends.
Dimanche dernier, enfin rentrés chez nous après un week-end éreintant, nous avons regardé tous les quatre Enola Holmes en prenant notre dîner. C’était absolument ce dont nous avions tous besoin à ce moment-là : de l’aventure, du mystère, et une héroïne intrépide qui triomphe des convenances. J’ai passé un bon moment alors que le film m’aurait sans doute semblé plat et convenu si je l’avais vu seul — finalement c’est peut-être surtout moi qui ai besoin qu’on me fasse voir des films.
2. Instruments d’écriture – édition DIY
Il y a très exactement 6 mois, je vous parlais d’instruments d’écriture semi-connectés, à mi-chemin entre la machine à écrire et l’ordinateur, avant de conclure que je ne trouvais rien qui me convienne vraiment. Cet été, un aimable lecteur de passage a laissé un commentaire très fouillé sur sa propre expérience :
Je suis écrivain, et me suis trouvé strictement dans la même problématique que vous : lassitude de taper des textes sur un ordinateur, distraction, etc. J'ai donc commencé par me tourner vers la machine à écrire, par romantisme bien sûr (je vous emprunte l'expression) mais aussi parce que cela me semblait être l'instrument le plus franc du collier, si j'ose dire. L'expérience n'a pas été si mauvaise : j'ai tapé un roman et demi de cette manière. Au final, l'impossibilité de reprendre un passage n'a pas été si négative : j'ai été plus concentré sur ce que je faisais et au final, mon éditrice a eu moins de boulot derrière. Seul souci : la récupération du texte, puisqu'on ne peut couper à l'aspect informatique dans un cadre pro. Sur une Remington des années 20, l'OCR a ses limites. J'ai dû finalement switcher pour une Olympia plus récente, avec une frappe plus nette. Mais cela reste un processus coûteux en temps, que je ne peux pas me permettre en ce moment. Tout comme écrire un roman au stylo-plume, ce que j'ai fait récemment, du moins en partie : à 70%, j'ai réalisé qu'il allait me falloir revenir à une solution plus moderne ou exploser encore un peu plus mes délais.
Figurez-vous que j'ai aussi essayé la tablette e-ink avec un clavier Bluetooth. Eh bien, c'est vraiment de la m... Pas très confortable visuellement, et délai de frappe franchement gênant, sans parler de l'instabilité du système (c'était bien une Boox comme sur votre vidéo !). Je n'y reviendrai pas de sitôt, même si sur le papier, c'était cool.
Et j'en viens à la Freewrite ! C'est ce que j'utilise le plus souvent depuis sa sortie, en fait. Dans la mesure où c'est mon métier, la dépense n'était finalement pas délirante. J'aime... bien. J'ai dû taper intégralement trois romans dessus, et y finir ceux que j'avais commencés à la machine à écrire et au stylo. J'aime donc bien, mais pas totalement. En fait, il y a UN truc qui me gêne particulièrement : la taille de l'écran. Pour moi, la machine idéale devrait avoir un affichage semblable à une page. Alors certes, une fenêtre d'appli sur un ordi, ça peut être au format portrait (ça l'est, d'ailleurs, en général). Mais le moniteur ne l'est pas, et c'est cette "fuite" sur les côtés qui me distrait. Je trouve qu'on ne voit pas assez sa page sur la Freewrite, trop peu de lignes affichées. Le but de l'appareil est d'écrire au kilomètre, mais malgré tout, je ne peux me défaire de ce besoin de la "vue d'ensemble". Je pensais qu'ils allaient changer ça avec la version portable, mais non. Je continue donc à utiliser la première version (la "grosse") qui est en réalité très sympa sur le plan ergonomique, pas si lourde et rigolote.
Comme vous pouvez l’imaginer, voilà qui m’a à nouveau plongé dans les affres : n’y aura-t-il donc jamais de solution optimale ? Faut-il vraiment tout faire soi-même, dans cette vallée de larmes ?
C’est ce que nous allons voir, avec une collection de projets bricolés approchant le problème de diverses manières.
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Kindleberry Pi
Le premier projet de cet ordre sur lequel je sois tombé remonte à 2012, et il y a eu diverses variantes depuis, mais le fond est toujours le même : un Kindle rooté pour y installer un client VNC, et qui sert donc d’écran à un Raspberry Pi sur lequel tourne un Linux.
Le hack est amusant et a l’avantage de permettre d’utiliser n’importe quel clavier, mais la latence de l’écran du Kindle (à laquelle s’ajoute celle inhérente à l’utilisation d’un VNC) me paraissent inacceptables.
Ultimate Writer
[Ultimate Writer: an Open Digital Typewriter]
Plus récemment, je suis tombé sur un projet qui ambitionne d’être une version open source de la FreeWrite. La base est toujours un Raspberry Pi, avec un écran e-ink WaveShare et un clavier mécanique choppés sur AliExpress à un coût raisonnable.
Je ne suis pas insensible à l’esthétique “bricolage propre”, mais les écrans WaveShare ont une vitesse de rafraîchissement notoirement basse, et l’ensemble est un peu volumineux pour mon goût.
SPUDWrite
[An "e-ink typewriter" that can only do one thing]
La version alpha nerd : un design complètement personnalisé, écran e-ink + un petit LCD en bas pour la ligne en cours, qui permet de contourner les soucis de latence de l’écran e-ink, enregistrement sur carte SD et sortie sur une imprimante thermique intégrée (!). Évidemment je ne peux qu’applaudir, mais j’ai aussi appris à me méfier des projets “idéaux” qui exigent des mois d’effort et deviennent, à force de course à la perfection, une fin en soi plutôt qu’un outil.
alphasmartphone
[Feeling competitive, wanted to show off my thinkpad + eink setup. Still needs polish.]
Et une ultime variation sur le thème e-ink + clavier, qui m’intéresse parce qu’elle utilise un smartphone à écran e-ink, le HiSense A5, qui a la particularité d’être doté d’une batterie énorme (ce qui le rend populaire chez les randonneurs) et d’un écran suffisamment réactif pour être à peu près utilisable, en tout cas pour taper du texte.
Je me dis aussi qu’avoir un smartphone fonctionnel, mais d’un usage un peu pénible pour tout ce qui déborde lire et écrire, serait peut-être un moyen de passer moins de temps absorbé par la contemplation de l’absurdité du monde.
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(Mon dernier plan en date : prendre une machine à écrire électronique des années 90 et remplacer le lecteur de disquette par un lecteur USB pour machine à coudre industrielle.)
3. Le SK
Pour finir, une histoire venue des sous-sols de la Seine-Saint-Denis.
À la fin des années 1980, le promoteur Christian Pellerin monte un projet de quartier d’affaires à Noisy-le-Grand, le “complexe Maille Horizon”, présenté comme le pendant de la Défense à l’est de Paris. Le projet prévoit notamment la création d’une mini ligne de métro reliant la gare RER de Noisy au quartier d’affaires. Le Syndicat des transports parisiens donne son autorisation à la construction de cette ligne à l’été 1991, et les travaux sont terminés en 1993. Il y a deux stations reliées par un tunnel de 550 mètres de long, où circule un métro automatique SK (du nom du fabricant, Soulé, et du concepteur, Yann de Kermadec), qui utilise des cabines assez semblables à des équipements de station de ski :
[Métro SK à Noisy-le-Grand | Exurbis]
Sauf que le reste du projet capote suite à la banqueroute du promoteur. Faute de bureaux à desservir, le SK de Noisy n’est jamais mis en service.
Dès lors se pose un dilemme pour la RATP. Tout détruire ou attendre ? C'est la seconde solution qui est retenue. Mais cela a un prix. Faire tourner les cabines au moins une fois par mois revient à 1MF (soit 150000euros) par an à l'entreprise de transports et Epamarne.
Mais en 1999, le Stif, autorité de tutelle de la RATP, arrête les frais et décide de mettre les cabines sur cales. A l'époque, tout est encore sécurisé. Les ascenseurs sont bâchés, les escalators protégés, dans l'espoir de faire un jour repartir le SK.
[En Seine-Saint-Denis, l’incroyable fiasco du mini-métro fantôme de Noisy-le-Grand]
En 2006, tout est encore en parfait état. Mais dès l’année suivante, le site est pillé et se retrouve progressivement dans un état dégueulasse, avant de connaître un incendie en 2016. Aujourd’hui quelques amateurs d’exploration urbaine s’y rendent toujours, mais il n’y a plus grand chose à voir.
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D’autres systèmes SK ont été installés ailleurs en France et dans le monde, avec plus ou moins de succès — d’ailleurs si vous voulez en voir un en activité, Etienne Daho a tourné un clip dans celui du parc des expositions de Villepinte :
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Récemment, la mairie de Noisy-le-Grand a annoncé un projet de valorisation de ce patrimoine sous-terrain :
Dans le projet présenté à la municipalité par le cabinet d’architectes Unza et l’opérateur commercial Soppec, il est prévu l’aménagement d’un “espace hybride underground chic”. Se répartiraient sur un niveau en surface et deux niveaux souterrains : un jardin, une brasserie, un bar à vin, une épicerie, une salle de concert, un espace de coworking, une aire de jeux et un magasin éphémère.
“L’idée, c’est d’imaginer un espace un peu comme on peut en voir dans d’autres pays où après une journée de travail, sortis des bureaux, les gens viennent boire un verre dans un espace troglodytique très atypique”, décrit Brigitte Marsigny (LR), la maire en place depuis 2015, qui a toujours cru au potentiel du lieu.
[A Noisy-le-Grand, le mini-métro abandonné accueillera salle de concert, bar et restaurant]
Je note l’absence de terrain d’aventure et d’habitat participatif, mais sinon la grille de bingo est complète. On peut rêver qu’une partie de la friche soit conservée sale et taguée, derrière une grande paroi vitrée, dans le cadre d’une démarche de préservation du patrimoine urbex.
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Et ce sera tout pour cette fois.
Portez-vous bien, à la semaine prochaine.
M.
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Bonjour; qu'entendez-vous par "je me mets la rate au court-bouillon à l’idée de montrer Ghostbusters à mes gamins" ?